Débat d'idées

1 | Maylis De Kerangal / Giorgio Vasta

Partagez !
viralité / immunité: deux questions pour interroger la crise

 

Maylis de Kerangal - Je dois te dire qu’écrire n’a pas été mon premier mouvement. Face à l’épidémie, l’écrasement m’a plutôt tenue dans le silence, dans une économie de paroles. Car écrire n’est pas chez moi de l’ordre du réflexe — et encore moins d’un réflexe immunitaire !  —, et décrire, même au plus juste, ma perception des choses, ma stupeur, mon inquiétude, mes réactions, cela m’a semblé immédiatement très très en-deçà de ce que j’aurais voulu, moi, lire ou entendre alors, à savoir des articles de terrain, des témoignages des soignants dans les hôpitaux, et notamment les hôpitaux italiens, comme celui de Crémone — Giorgio, chaque jour, mon attention se porte vers l’Italie.

Mais écrire est redevenu possible. L’épidémie ne cesse de s’étendre sur la planète, la situation demeure tragique, douloureuse et critique dans nos deux pays,  mais après l’écrasement, une forme de bouillonnement se fait jour.

Ainsi, les mots d’immunité et viralité tracent à présent les lignes de failles de la réflexion. Et parfois nous prennent à revers.

Ainsi, l’épidémie qui se répand, répand dans le même temps sa puissance de questionnement phénoménale, et vertigineuse.

Là aussi réside aussi son extrême viralité, à laquelle n’échappe aucune structure anthropologique, aucune pensée philosophique, aucun système politique, aucune strate économique, aucun repli du corps social, aucun lieu du pouvoir médiatique, aucun habitus culturel, ni même nos conceptions de l’espace et du temps. Cette charge virale est fertile, et vivante, elle réactive la pensée critique, contre laquelle il n’existe aucune immunité, sinon la peur, l’égoïsme et la bêtise.

 

Giorgio Vasta - Une réaction similaire à la première que tu as décrite est aussi valable pour moi. En ce qui me concerne, ce n’est pas tant l’écriture qui a fait défaut, mais le partage de celle-ci. Depuis plus d’un mois maintenant, je prends des notes sur ce qui se passe au quotidien ; ces notes n’essaient pas d’explorer la dimension sanitaire de la pandémie, elles n’enquêtent pas sur ses causes, elles n’essaient même pas d’imaginer l’avenir, qu’il soit proche ou lointain. Il s’agit plutôt d’une sorte de sténographie - au sens d’une écriture tachygraphique étroite et courte - obsessivement axée sur les phénomènes les plus infimes, dans la plupart des cas sur ce qui, en observant le scénario dans son intégralité, devrait être considéré comme des phénomènes non pertinents.

Obsessivement, je disais, parce que j’admets que je ne résiste pas au sentiment d’écrasement : je ne veux pas être plus intelligent que la pandémie, je ne cherche pas à avoir une vue d’ensemble, je ne veux pas opposer l’analyse et l’équilibre à quelque chose qui a un énorme impact psychique sur moi. Je n’ai rien contre le fait de ne pas être immunisé contre ce qui se passe, et donc je n’ai rien contre le fait de me retrouver, à certains moments de la journée et surtout le soir, avec la sensation physique d’un essaim de tensions qui me parcourt la poitrine (c’est comme si les racines des ficus magnolioides de Piazza Marina et celles de Villa Trabia et Viale delle Magnolie, ici à Palerme, se ramifiaient sous mon sternum, entre ma gorge et mon abdomen, très fines ou très épaisses, grimpantes et virales).

Ce qui manque dans ces semaines, disais-je, c’est le moment qui suit l’écriture, c’est-à-dire le partage - et notre dialogue est à ce jour la seule heureuse exception. Car, comme tu l’écris, l’impulsion de ne rien dire est intervenue immédiatement. Ne pas conseiller, ne pas reconstruire et ne pas préfigurer : la notion de «rester à la maison» s’est étendue, et dans un certain sens s’est radicalisée, dans le sens de rester silencieux, c’est-à-dire ce désir de rester silencieux non seulement comme une forme de respect mais surtout comme une méthode, comme une forme de connaissance.

Je me place donc ici, dans l’enchevêtrement de l’invisible, alors que l’espace entre les corps s’élargit et que le temps s’approche, devenant de plus en plus dense et en même temps complètement creux, et dans ce temps – de ce temps – je ressens un désir de silence viral et vital et une tentative de discours dans lequel je reconnais à la fois la tendresse et la honte de «prendre la parole» – une prise de parole qui ne me semble jamais auparavant inséparable de l’éventualité, sinon de la nécessité, de la perdre.

 

Maylis de Kerangal - J’ai repensé ces derniers jours à cette image que tu as décrite : les racines des ficus de Palerme qui se ramifient dans ton corps, sous ton sternum, entre la gorge et l’abdomen. Je l’ai fait revenir, je l’ai faite tournoyer, j’y décelai progressivement une piste pour poursuivre notre échange. 

Les racines poussent, elles s’enchevêtrent pour former ce réseau propre à propulser et soutenir ces arbres. Elles sont  puissantes quoique le plus souvent enterrées, assez vigoureuses pour faire vaciller les temples, fendiller les murs des palais, défoncer les rues. Surtout, elles incarnent l’un des principes du vivant : quelque chose se perpétue. Un raccordement au temps long, à une durée continue, une durée que la mort humaine ne saurait interrompre. Mais ce qui est troublant, c’est que toute racine qui croît active dans même le temps son mouvement contraire : elle grandit, mais à l’intérieur, dans le sens inverse à celui de la tige, et si elle a pour fonction de fixer la plante au sol, elle lui pompe aussi sa nourriture, elle se nourrit de lui. 

Je crois que si cette image me stimule, c’est précisément parce que les racines enfoncent, qu’elles étouffent, écrasent l’abdomen, mais qu’en même temps elles soulèvent — je me suis souvenue des racines noires d’un vieux tilleul qui avaient resurgi dans une chambre après avoir déchiqueté, fracturé puis soulevé les lattes du parquet, le sol avait craqué, l’arbre était pourtant planté à quelques mètres de la maison, il était là depuis toujours mais il continuait de croître, et rien ne pouvait s’opposer à lui, à cette énergie vivante qui venait de loin, partait du plus profond. 

Ce soir, je me demande si ce qui nous écrase est aussi ce qui nous soulève. Si de cet étouffement viral — les poumons asphyxiés, la détresse respiratoire — peut surgir un soulèvement. J’espère revenir au plus vite à Palerme, et traîner sur ces places, à l’ombre des ficus. 

 

Giorgio Vasta - Tu as raison, ce qui écrase est aussi capable de soulever, la prolifération des racines entraîne aussi bien la systole que la diastole. À l’heure actuelle, une contraction accablante des perceptions et des cognitions, centrée sur un seul contenu, prévaut inévitablement. Au point que maintenant une expérience comme celle de l’ailleurs - l’imaginer, l’atteindre - est entrée en crise. L’ailleurs n’est plus disponible en tant qu’espace physique, car à l’exception de l’Antarctique et de quelques autres pays, le coronavirus est partout, de telle manière que l’ailleurs a tendance à disparaître même de l’imagination. Même après le 11 septembre – et, en Italie, dans les années du berlusconisme – et même si les programmes télévisés étaient saturés et qu’on ne parlait et ne pensait à rien d’autre, quelque chose de différent, une exception qui n’avait ni son origine ni sa destination dans le 11 septembre ou chez Berlusconi, se répandait pourtant de temps en temps, à la fin d’un programme d’information ou en marge d’une conversation. En cette année 2020, rien ne semble échapper à la pandémie, personne n’est à l’abri. Je pense donc que la littérature est l’un des outils permettant d’activer la diastole, cette montée que tu décris : car si, même maintenant, le sentiment est que tout est virus, que tout est appelé virus (que tout est nommé par le biais du virus), la littérature cherche le multiple et veut nommer – c’est-à-dire élever ce qui existe vers son nom le plus exact. 

 

Giorgio Vasta (Palerme, 1970) est écrivain et directeur du salon de l’édition indépendante Book Pride. Après ses débuts avec le roman Il tempo materiale (minimum fax, 2008), qui remporte le Prix Ulysse du Premier roman 2011 et est traduit en plus de dix langues, il publie Spaesamento (Laterza, 2010), Presente (Einaudi, 2012, avec Andrea Bajani, Michela Murgia e Paolo Nori) et Absolutely Nothing. Storie e sparizioni nei deserti americani (Humboldt / Quodlibet, 2016).  Avec Emma Dante, et avec la collaboration de Licia Eminenti, il a écrit en 2012  le scénario du film Palerme (en version originale «Via Castellana Bandiera»), en compétition à la 70ème édition du Festival du film de Venise. Il collabore avec les journaux La Repubblica, il Sole 24 ore avec Il Manifesto.


Maylis de Kerangal (Toulon, 1967), est l’auteure de nombreux romans traduits dans le monde entier; notamment par Maria Baiocchi en Italie. Elle publie de l’autre côté des Alpes ses romans Corniche Kennedy (publié par Feltrinelli en 2018), Naissance d’un pont (Feltrinelli, 2013), Réparer les vivants (Feltrinelli, 2014) ou encore A ce stade de la nuit (traduit “Lampedusa” en italien, publié chez Feltrinelli en 2016). Elle est aujourd’hui parmi les auteurs français les plus lus en Italie.

 

Maylis de Kerangal - Devo dirti che scrivere non è stato il mio primo moto. Di fronte all’epidemia, questo schiacciamento mi ha indotto piuttosto a mantenere il silenzio, a un’economia di parole. Perché per me la scrittura non è un riflesso – men che meno un riflesso immunitario!  – e descrivere, sia pure con esattezza, la mia percezione delle cose, il mio stupore, la mia ansia, le mie reazioni, mi è sembrato fin da subito fuori fase rispetto alle voci che io stessa avrei voluto leggere o ascoltare in quel momento, cioè testimonianze sul campo, di operatori ospedalieri, soprattutto dagli ospedali italiani, come quello di Cremona: Giorgio, ogni giorno la mia attenzione è rivolta all’Italia.

Ma scrivere è ridiventato possibile. L’epidemia continua a diffondersi in tutto il pianeta, la situazione rimane tragica, dolorosa e critica nei nostri due paesi, ma dopo lo schiacciamento va affiorando una sorta di fermento.

Così, le parole immunità e viralità tracciano ora le linee di faglia della riflessione. E a volte siamo presi alla sprovvista.

Così, l’epidemia che si va diffondendo, diffonde allo stesso tempo il suo fenomenale, vertiginoso potere di interrogarci.

Qui sta anche la sua estrema viralità, a cui non sfugge nessuna struttura antropologica, nessun pensiero filosofico, nessun sistema politico, nessuno strato economico, nessun ripiegamento del corpo sociale, nessun luogo di potere mediatico, nessun habitus culturale, e neppure le nostre stesse concezioni dello spazio e del tempo. Questa carica virale è fertile, e viva, riattiva il pensiero critico, contro il quale non c’è immunità, se non la paura, l’egoismo e la stupidità.

 

Giorgio Vasta - Vale anche per me qualcosa di simile alla prima reazione che descrivi. Per quanto mi riguarda non è venuta meno la scrittura in assoluto, ma la sua condivisione. Da oltre un mese prendo quotidianamente appunti su quello che succede; si tratta di annotazioni che non provano a esplorare la dimensione sanitaria della pandemia, non ne indagano le cause, non cercano neppure di immaginare il futuro, prossimo o remoto che sia. Sono semmai una specie di stenografia - nel senso di una scrittura stretta, breve, tachigrafica - ossessivamente concentrata sui fenomeni più minuti, nella maggior parte dei casi su quelli che, osservando lo scenario nella sua interezza, andrebbero considerati come fenomeni irrilevanti. 

Ossessivamente, dicevo, perché ammetto di non opporre nessuna resistenza al senso di travolgimento: non voglio essere più intelligente della pandemia, non cerco una visione d’insieme, non voglio opporre l’analisi e l’equilibrio a qualcosa che sta avendo su di me un impatto psichico enorme. Mi sta bene non essere immune a nulla di quello che sta succedendo, e dunque mi sta bene ritrovarmi, in alcuni momenti della giornata e soprattutto la sera, con la sensazione fisica di di uno sciame di tensioni che mi corre nel petto (è come se le radici dei ficus magnolioides di piazza Marina e quelli di Villa Trabia e di viale delle Magnolie, qui a Palermo, prendessero a diramare sotto lo sterno, tra gola e addome, sottilissime o spesse, rampicanti e virali). 

Quello che in queste settimane manca, dicevo, è il momento successivo alla scrittura, vale a dire la sua condivisione - e questo dialogo con te è a oggi l’unica felice eccezione. Perché, come scrivi, è intervenuto subito l’impulso a non dire nulla. A non consigliare, a non ricostruire e a non prefigurare: il «restare a casa» si è esteso, e in un certo senso si è radicalizzato, in un restare in silenzio, intendendo questo desiderio di tacere non solo come una forma di rispetto ma soprattutto come un metodo, come una forma di conoscenza. 

E dunque me ne sto qui, nel groviglio dell’invisibile, mentre lo spazio tra i corpi si dilata e il tempo si avvicina facendosi sempre più fitto e insieme completamente cavo, e all’interno di quel tempo - di questo tempo - sento mescolarsi un desiderio di silenzio virale e vitale e un tentativo di discorso in cui riconosco tanto la tenerezza quanto la vergogna di «prendere la parola» - un prenderla che mai come in questo momento mi sembra inseparabile dall’eventualità se non dalla necessità di perderla.

 

Maylis de Kerangal - Ho riflettuto negli ultimi giorni sull’immagine che hai descritto: le radici del ficus palermitano che si diramano nel tuo corpo, sotto lo sterno, tra la gola e l’addome. L’ho ripresa, l’ho fatta volteggiare, ho rilevato gradatamente una traccia per continuare il nostro scambio.

Le radici crescono, si intrecciano a formare una rete che spinge e sostiene questi alberi. Sono potenti, benché in gran parte sepolte, abbastanza forti da scuotere i templi, rompere le mura dei palazzi e distruggere le strade. Soprattutto, incarnano uno dei principi del vivente: qualcosa si perpetua. Una connessione del tempo lungo, a una durata continua, una durata che la morte umana non può interrompere. L’elemento inquietante è che nella sua crescita ogni radice attiva al contempo un moto contrario: cresce, ma all’interno, in direzione opposta a quella del fusto, e se la sua funzione è quella di fissare la pianta al suolo, ne pompa anche il cibo, se ne nutre. 

Se trovo stimolante questa immagine, credo, è proprio perché, affondando nell’addome, le radici lo schiacciano e lo soffocano, ma allo stesso tempo lo sollevano – mi sono ricordata delle radici nere di un vecchio tiglio che era riemerso in una stanza dopo che era stato sradicato e tagliato a pezzi, sollevando le doghe del parquet fino a sfondare il pavimento, anche se l’albero era stato piantato a qualche metro dalla casa, era sempre stato lì ma aveva continuato a crescere, e nulla poteva resistergli, opporsi a questa energia viva che veniva da lontano, dal profondo. 

Stasera mi chiedo se quel che ci schiaccia non sia anche quel che ci solleva. Se da questo soffocamento virale – i polmoni asfissiati, il malessere respiratorio non possa scaturire un sollevamento. Spero di tornare a Palermo il più presto possibile e di stare in queste piazze, all’ombra dei ficus.

 

Giorgio Vasta - Hai ragione, ciò che schiaccia è anche in grado di sollevare, il proliferare delle radici porta con sé tanto la sistole quanto la diastole. In questo momento prevale inevitabilmente un contrarsi prepotente delle percezioni e delle cognizioni, focalizzate su un unico contenuto. Al punto che adesso un’esperienza come quella dell’altrove - immaginarlo, raggiungerlo - è andata in crisi. L’altrove non è più disponibile nello spazio fisico, perché con l’eccezione dell’Antartide e di qualche altro Paese il coronavirus è dappertutto, e tende a sparire anche dall’immaginario. Persino dopo l›11 settembre - e, in Italia, negli anni del berlusconismo -, seppure i palinsesti fossero saturi e non si parlasse d’altro e non si pensasse ad altro, trapelava ogni tanto, in coda a un telegiornale o a margine di una conversazione, qualcosa di diverso, un’eccezione che non aveva la sua origine e la sua meta nell›11 settembre o in Berlusconi. In questo 2020, nulla sembra sottrarsi alla pandemia, nessuno è immune. Penso allora che la letteratura sia uno degli strumenti tramite cui attivare la diastole, quel sollevarsi che descrivi: perché se anche adesso la sensazione è che tutto sia virus, che tutto si chiami virus (che tutto sia nominato attraverso il virus), la letteratura desidera il molteplice e desidera nominare - vale a dire sollevare ciò che c’è verso il suo nome più esatto. 

 

Giorgio Vasta (Palermo, 1970), scrittore e direttore di Bookpride, dopo il suo esordio con il romanzo Il tempo materiale (minimum fax 2008), Prix Ulysse du Premier Roman 2011, tradotto in oltre dieci lingue, ha pubblicato Spaesamento, (Laterza 2010), Presente (Einaudi 2012, con Andrea Bajani, Michela Murgia, Paolo Nori), e Absolutely Nothing. Storie e sparizioni nei deserti americani (Humboldt/Quodlibet 2016). Con Emma Dante, e con la collaborazione di Licia Eminenti, ha scritto la sceneggiatura del film Via Castellana Bandiera (2013), in concorso alla 70° edizione della Mostra del Cinema di Venezia. Collabora con La Repubblica, il Sole 24 ore e il manifesto.


Maylis De Kerangal (Tolone, 1967), ha pubblicato diversi romanzi tradotti in Italia: Corniche Kennedy (Feltrinelli 2018, traduzione di Maria Baiocchi), Nascita di un ponte (Feltrinelli 2013, traduzione di Maria Baiocchi), Riparare i viventi (Feltrinelli 2014, traduzione di Maria Baiocchi con Alessia Piovanello), Lampedusa (Feltrinelli 2016 traduzione di Maria Baiocchi con Daniela De Lorenzo).