Débat d'idées

4 | Isabella Mattazzi / Yves Citton

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viralité / immunité: deux questions pour interroger la crise

Yves Citton - L’une des choses qui m’ont frappé en suivant la contagion du virus depuis Wuhan jusqu’aux USA, c’est ce que nous caractérisons avec Jacopo Rasmi, dans notre livre consacré aux imaginaires de l’effondrement, comme la différence entre savoir et croire, ou plus précisément en français, la différence entre croire à et croire en. Nous savions tous qu’un virus frappait une région de la Chine. J’ai un ami en Chine, qui me parlait de son confinement dès le mois de janvier. Je croyais sans difficulté à ce qu’il me disait, à ce que je lisais dans les journaux. Mais je n’en tirais pas les conséquences pratiques qui me concernaient. Je ne croyais pas en le fait que nous serions nous aussi prochainement confinés comme les Chinois. Exactement la même chose s’est produite entre des pays aussi voisins que l’Italie et la France. Les Français n’avaient aucune bonne raison de penser que les choses se passeraient différemment chez eux qu’à Milan. Et pourtant, ils n’ont cru en l’impact du virus qu’avec deux ou trois semaines de retard sur ce qui se passait en Italie. Les informations se diffusent à la vitesse de la lumière dans nos réseaux électroniques, mais que nos sphères publiques nationales sont des bulles informationnelles qui ont encore leur rythme et leur isolation propre. Nous savons que des choses se passent au loin. Mais nous n’y croyons pratiquement que lorsque nos conditions de vie directes en sont directement affectées, et qu’il est déjà trop tard… Cela est bien entendu très important – et très préoccupant – quand on parle de questions de réchauffement climatique, d’effondrement de la biodiversité, d’épuisement des ressources en eau. Toi qui suis aussi de près ce qui se dit et se fait en France, comment as-tu vécu ce décalage de quelques semaines entre les deux côtés des Alpes ? 

 

Isabella Mattazzi - Oui, j’ai été très impressionnée moi aussi par ce qu’on pourrait appeler l’effet domino de la propagation de la peur. Car en fait ce que tu appelles croyance coïncide avec la poussée émotionnelle de la panique : quand on nous dit que c’est notre voisin de palier qui a contracté le virus, et non plus un habitant de Whuan, notre croyance dans le virus atteint soudainement une profondeur sémantique décuplée, car elle se nourrit d’un fond psychique qu’elle n’avait pas auparavant. Si l’on pense, entre autres, à la proximité géographique entre l’Italie et la France et à leur réaction échelonnée dans le temps face au virus, il devient évident que le Covid-19 est un phénomène à très forte connotation « culturelle ». Je m’explique mieux. En ce moment, dans le monde, nous sommes tous submergés par un « discours sur le virus » qui se propage verticalement (de l’OMS aux gouvernements, des groupes de travail gouvernementaux à l’opinion publique) et en même temps horizontalement, pénétrant à travers les réseaux sociaux de maison en maison. Pour que le discours vertical soit accepté avec succès, il doit nécessairement emprunter une certaine dimension d’horizontalité, c’est-à-dire s’adapter à chaque fois à la culture précise à laquelle il s’adresse. Je pense qu’il sera très intéressant pour les linguistes de demain de voir par exemple quel sont les mots utilisés, d’une culture à l’autre, pour appeler (et par conséquence imaginer) le virus.

Une de mes collègues devait partir pour la République tchèque fin février. Alors qu’elle parcourait le site de l’aéroport de Prague en lisant les dispositions pour l’urgence sanitaire, elle a été frappée par une phrase : Passengers travelling from Italy will be concentrated in one location. Le personnel chargé du site aurait pu écrire will be summoned ou utiliser gather ou convene, mais parmi toutes les possibilités offertes par le lexique anglais, on a choisi concentrate. De toute évidence, la langue a révélé, pour le meilleur ou pour le pire, un lien culturel avec quelque chose de terriblement ancré dans l’histoire du lieu.

Sur le même sujet, même si les résultats sont opposés, je peux citer une discussion d’il y a peu de jours avec des amis traducteurs sur les raisons pour lesquelles, en Italie, on a choisi le terme anglais lockdown, et non son équivalent italien confinamento. L’une des réponses les plus plausibles a été que si, d’une part, nous utilisons lockdown pour donner une allure de technicité à une opération qui doit être perçue comme scientifique, de l’autre, nous n’avons probablement pas choisi confinamento parce qu’il nous rappelle confino, c’est-à-dire un mot tristement galvaudé au cours de la période fasciste.

Ces quelques exemples montrent à quel point le virus est indissolublement lié à son récit, un récit qui a pris un pouvoir complètement nouveau par rapport à une vision de l’Histoire comme chaîne récursive de pandémies. Nos maisons câblées et interconnectées par la domotique contemporaine, d’un côté, sont des lieux clos aptes à nous protéger, de l’autre, ce sont des laboratoires cognitifs sans parois, sans barrages, qui nous surexposent à une contagion discursive continue. 

Je ne sais pas si tu as eu la même sensation que moi, mais au début du lockdown, j’avais pensé à la possibilité de pouvoir profiter de ce temps suspendu pour rester en silence, pour étudier et écrire, en refermant le monde derrière la porte. Après moins d’une semaine, j’ai réalisé la naïveté totale de mon projet de quarantaine monastique. Si nous pouvons d’une manière ou d’une autre nous défendre contre le virus, nous défendre contre le « discours sur le virus » est pratiquement impossible.

 

Yves Citton - J’ai eu le même bref espoir que toi, mais en fait, je me suis vite retrouvé avec encore plus de (télé)travail que d’habitude, pour organiser les enseignements en ligne, les tâches administratives, pour accomplir un travail de care des étudiants et des institutions. Et aussi pour participer à des entretiens, comme celui que nous faisons maintenant, toi et moi… 

J’ai beaucoup aimé celui qu’ont eu Jacques Rancière et Andrea Inzerillo dans cette même série. Je me suis complètement reconnu dans « les intellectuels habitués à penser la fin de l’histoire ou celle de l’anthropocène », qui jouent parfaitement leur petit rôle habituel dans la division du travail en appelant de façon incantatoire un « retournement du temps multiséculaire du Capital ou de l’anthropocène »… J’adore Jacques Rancière, et il a raison de nous faire réfléchir à ce que voudrait dire, dans notre situation du moment, l’appel proprement politique à « suspendre l’ordre normal des travaux et des jours et inventer d’autres usages du temps ».

Je t’avoue que je n’ai pas de réponse à cette question. Peut-être que ça devrait nous inviter à nous taire… Et pourtant, je n’ai pas envie d’arrêter cet entretien. Ça me semble précieux d’échanger nos sentiments et nos idées par-dessus les Alpes. J’aime le faire, et je le fais parce que j’aime le faire. Je le fais en volant du temps aux travaux d’administration, qui occupent (au sens militaire) la plupart de nos journées d’universitaires. Donc, en dialoguant avec toi, je « suspends l’ordre normal des travaux et des jours ». Cela dit, je pourrai parfaitement inclure cet entretien dans le « rapport d’activités » que je dois fournir régulièrement à des évaluateurs chargés d’expertiser ma « productivité » académique. Donc, ce que nous faisons s’inscrit aussi sans difficulté dans la division du travail qui distingue les productifs des improductifs, ceux qui ont le droit de parler (d’être publiés, d’être écoutés) de ceux qui ont surtout le droit de se taire et d’écouter les autres planifier la relance ou prophétiser la fin du Capitalocène.

Trois points me semblent intéressants dans cette situation. D’une part, la plupart des alternatives binaires nous leurrent, parce que nos réalités sont mêlées, impures, ambivalentes. Ton analyse sur les propagations verticales et horizontales montre qu’aujourd’hui tout le monde contribue (inégalement) aux discours sur le virus. Pour ce qui nous concerne : oui, en prophétisant la fin du Capitalocène, nous jouons notre petit rôle d’intellectuel·les histrioniques. Mais oui, nous pouvons aussi contribuer, à notre toute petite échelle, à la suspension d’une certaine temporalité, qui est ici celle d’une urgence dans la relance du business as usual. Donc, premier point : il est éclairant de se confronter à des dilemmes binaires, mais il est important de ne pas s’y laisser emprisonner, afin de saisir les dynamiques qui nouent de façon complexe ce que les dilemmes séparent trop abstraitement.

Le deuxième point est que, dans la situation de notre entretien, il est un peu trop facile pour quelqu’un comme moi de jouer sur les deux tableaux : prôner la suspension du productivisme capitalocénique, tout en ajoutant une publication à ma productivité académique. Il faut se méfier des positions qui sont trop faciles à prendre. La crise sanitaire et économique que nous vivons met et mettra des millions de gens dans des difficultés terribles. Il y a des gens qui vont se battre contre l’ordre dominant qui les opprime et les exploite, d’autres qui vont faire ce qui est plus facile pour eux, parce qu’ils occupent des positions dominantes. Je crois que la suspension dont parle Rancière implique toujours une certaine résistance à ce que rendent trop faciles les régimes de domination. Donc, deuxième point : le degré de difficulté des positions qu’on prendra dans les crises à venir sera sans doute un indicateur de leur valeur réelle.

Le troisième point contrebalance un peu ce qu’il peut y avoir de sacrificiel dans le point précédent. J’insistais plus haut sur le fait que je veux continuer cet entretien avec toi parce que j’aime le faire. Les ouvriers-poètes qu’étudiait Rancière dans La Nuit de prolétaires se confrontaient à l’ordre dominant, mais ils s’adonnaient à la poésie parce qu’ils aimaient ce que la poésie leur faisait faire. Donc, troisième point : même si beaucoup d’entre nous se sentent et se sentiront déboussolé·es par les crises en cours et à venir, c’est peut-être une bonne idée de fonder nos valeurs et nos choix sur ce que nous faisons parce que nous aimons le faire.

C’est sur la base de ces trois principes que j’ai envie de justifier notre discussion dans cette série consacrée au couple « viralité/immunité ». Le premier principe pousse à regarder de plus près ce que la viralité a de prometteur, et ce que l’immunité a de menaçant, sachant qu’elles s’entremêlent de façon très enchevêtrée. Le deuxième principe pousse identifier les points autour desquels viralité et immunité entrent en conflit et suscitent des résistances, où se joueront nos socialités à venir. Le troisième principe pousse à chercher dans les formes de plaisirs que nous éprouvons déjà dans nos socialités actuelles le fondement de ce qu’il faudra défendre au sein des conflits à venir.

 

Isabella Mattazzi - Je suis tout à fait d’accord avec ton exhortation à ne pas se limiter à des catégorisations binaires de la réalité. Même en moi, l’ère du virus résonne comme un temps impur, un temps d’ambivalence et de médiation. Cette impureté et cette ambivalence ne sont pas seulement d’ordre théorique, elles relèvent d’une approche pratique à laquelle nous sommes tous appelés. «Que faisons-nous maintenant ?», telle est la question que mes collègues et moi-même nous posons depuis des mois. «Comment agir dans l’ici et maintenant de notre rôle social et de ses effets sur le monde ?”. L’université a réagi au virus par l’enseignement à distance, c’est-à-dire en repensant de fond en comble la portée éducative de l’institution universitaire. L’enseignement à distance, si d’une part il permettait de poursuivre l’année scolaire plus ou moins sans interruption, d’autre part a été perçu comme défaillant et classiste dans sa division du monde entre les submergés qui n’ont même pas d’ordinateur familial et les rescapés des quartiers bourgeois à fibres optiques. On demande de plusieurs côtés de rouvrir, de revenir à «ce que nous étions avant», de réaménager les espaces, de trouver de nouvelles salles de classe, de construire, d’agrandir, de réadapter les structures, les salles, les murs. Mais le corps éléphantesque des universités publiques structuré en appels d’offres et en concours nationaux peut-il se déplacer avec l’agilité d’une souris ?  Comment la bureaucratie des infrastructures en Italie peut-elle raisonner en termes de semaines ou de mois alors que nous traînons le fantôme de tremblements de terre qui ont rasé des villes entières jamais reconstruites depuis des années ?

Dans le même temps, le monde de l’édition est inactif depuis des semaines et réclame à cor et à cri sa réouverture, le retour à «ce que nous étions avant». Mais même dans ce cas, à mon avis, il n’y a pas de solutions qui puissent ignorer une complexité structurelle beaucoup plus grande que l’opposition binaire rouvrir/ne pas rouvrir. De plus, le retour à la situation de départ est-il vraiment la meilleure solution ? Est-il vraiment souhaitable de revenir à un marché du livre saturé et hyperdéveloppé, où les livres demeurent dans les librairies pendant quelques semaines puis disparaissent dans le néant, où des festivals sans fin se succèdent, obligeant les libraires et les éditeurs à de longues et coûteuses caravanes d’autopromotion ? Certes, Covid-19 retient et retiendra chez eux des milliers de travailleurs du monde de la culture, mais ce sont des personnes qui, avant le virus, vivaient sur un budget de 500 euros par mois, souvent sans même un contrat. Des gens qui ont nourri un cirque dopé, perpétuellement surexcité et qui en même temps connaît de crises constantes par manque d’oxygène. Une fois de plus, comment pouvons-nous aller dans une direction qui ne soit pas toujours et de quelque manière que ce soit compromise?

Je crois que notre démarche dans les temps à venir devra être une démarche de médiation, non pas polarisée, prête à accepter les contradictions et les remises en question (et je trouve que ta proposition des trois principes d’action fonctionne très bien dans ce sens aussi). Les changements de paradigme, après tout, se sont toujours déroulés dans l’Histoire à travers des phases contradictoires, des naufrages inattendus et des réémergences soudaines à la surface de la réalité de modalités et de pratiques que l’on croyait jusqu’alors granitiques et universellement partagées.

Le virus nous oblige aujourd’hui à des formes d’action hybrides, et c’est précisément en raison de son hybridisme et de son ambivalence structurelle que nous ne pouvons l’interpréter que comme l’avènement d’une nouvelle contemporanéité. 

Isabella Mattazzi enseigne la littérature française à l’Université de Ferrara. Elle est conservatrice et traductrice éditoriale de langue française et collabore en tant que critique littéraire pour Il Manifesto et plusieurs magazines spécialisés.

 

Yves Citton est un théoricien de la littérature, un chercheur, un philosophe et un essayiste. Il est professeur de littérature à l’Université Paris-VIII. Jusqu’à 2021 il est directeur exécutif de l’Ecole Universitaire de Recherche EUR ArTeC (Arts, Technologies, numérique, médiations humaines et Création). Il co-dirige la revue Multitudes et a publié récemment Générations Collapsonautes. Naviguer en temps d’effondrement (avec Jacopo Rasmi, Seuil, 2020), Contre-courants politiques (Fayard, 2018), Médiarchie (Seuil, 2017), Pour une écologie de l’attention (Seuil; 2014), Zazirocratie (Ed. Amsterdam, 2011). Ses essais en open source sont disponibles sur www.yvescitton.net.

 

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Yves Citton - Una delle cose che mi hanno più colpito seguendo l’evolversi del contagio da Wuhan fino agli Stati Uniti, è quella che io e Jacopo Rasmi abbiamo definito, nel nostro libro sull’immaginario della catastrofe, come la differenza tra sapere e credere, o più precisamente tra credere a e credere in. Lo sapevamo tutti che un virus stava martoriando una certa regione della Cina. Ho un amico in Cina che già a gennaio mi raccontava del suo lockdown. Non avevo nessuna difficoltà a credere a ciò che mi stava dicendo e a quanto leggevo sui giornali. Ma era come se questo credere a fosse completamente slegato da una qualsiasi conseguenza che potesse riguardarmi. Non credevo nel fatto che anche a noi sarebbe potuta toccare la stessa sorte dei cinesi. La stessa cosa sembra essersi prodotta tra paesi molto più prossimi come Italia e Francia. I francesi non avevano alcuna ragione di pensare che le cose sarebbero state diverse per loro rispetto a quanto stava accadendo a Milano. Eppure hanno creduto all’impatto del virus con due, tre settimane di ritardo rispetto all’Italia. Trovo molto interessante che all’interno della nostra mediasfera le informazioni si diffondano alla velocità della luce, mentre le nostre rispettive sfere pubbliche nazionali hanno invece ancora un loro ritmo e un loro proprio isolamento. Noi sappiamo che qualcosa sta succedendo in un luogo lontano. Ma ci crediamo soltanto quando le nostre condizioni di vita si trovano a esserne implicate ed è ormai troppo tardi… Questo fenomeno diventa ovviamente molto importante e preoccupante quando parliamo di questioni come il riscaldamento climatico, la distruzione della biodiversità, l’esaurimento delle risorse d’acqua. Tu che segui così da vicino quanto si dice e si fa in Francia, come hai vissuto questo ritardo di qualche settimana tra i due versanti delle Alpi?

 

Isabella Mattazzi - Sì, anche io come te sono stata molto colpita da quello che potremmo chiamare un effetto domino della propagazione della paura, perché di fatto quella che tu chiami credere in coincide con la spinta emotiva del panico: quando ci dicono che ad ammalarsi è il nostro vicino di casa, il nostro credere al virus si carica improvvisamente di una profondità semantica decuplicata perché ricolma di un portato psichico che prima non aveva. Se pensi tra l’altro alla prossimità geografica tra Italia e Francia e alla loro reazione scaglionata nel tempo diventa evidente quanto il Covid-19 sia un fenomeno con una fortissima connotazione “culturale”. Mi spiego meglio. In questo momento nel mondo tutti siamo sovrastatati da un “discorso sul virus” che si muove verticalmente (dall’Oms e dalle task force governative verso l’opinione pubblica) e nello tempo orizzontalmente, penetrando attraverso i social di casa in casa, di quotidianità in quotidianità. Perché una retorica verticale  - intesa come potere di cura politico ancora prima che sanitario - possa essere recepita con successo, occorre che necessariamente inglobi al suo interno e si “contagi” con frammenti, input, stringhe di significato che appartengono a una discorsività di tipo orizzontale, ovvero che si adatti ogni volta alla precisa e puntuale cultura a cui si sta rivolgendo. Credo potrà essere molto interessante per i linguisti di domani vedere ad esempio quali sono le parole con cui ogni nazione chiama (e quindi immagina) la pandemia. 

Una mia collega a fine febbraio sarebbe dovuta partire per la Repubblica Ceca. Mentre scorreva il sito dell’aeroporto di Praga con le disposizioni per l’emergenza sanitaria è rimasta folgorata da una frase: Passengers traveling from Italy will be concentrated in one location. Avrebbero potuto scrivere will be summoned o usare gather o convene, ma invece tra tutte le possibilità offerte dal lessico inglese hanno scelto concentrate. Con ogni evidenza la lingua ha rivelato, nel bene e nel male, un legame culturale con qualcosa di terribilmente radicato nella storia del luogo. 

Nella stessa direzione, ma con esito opposto posso citare una discussione con amici traduttori sul perché in Italia sia stato scelto il termine inglese lockdown e non il suo equivalente italiano confinamento. Una delle risposte più plausibili è stata che se da una parte usiamo lockdown per ammantare di tecnicismo un’operazione che deve essere percepita come il più possibile scientifica, dall’altra probabilmente non abbiamo scelto confinamento perché ci ricorda confino, parola tristemente sovrautilizzata durante il ventennio fascista. 

Questi scampoli di esempi mostrano quanto il virus sia indissolubilmente legato alla sua narrazione, una narrazione che ha assunto una potenza massiva e capillare storicamente del tutto nuove. Le nostre case domoticamente cablate e interconnesse, se da una parte sono luoghi chiusi, di difesa, dall’altra sono laboratori cognitivi senza pareti incapaci di proteggerci dalla sovraesposizione di un continuo contagio discorsivo. Non so se anche a te è successa la stessa cosa, ma all’inizio avevo pensato alla possibilità di poter approfittare di questo tempo sospeso per fare silenzio, per studiare e scrivere, chiudendo il mondo fuori della porta. Dopo neanche una settimana mi sono accorta della totale ingenuità del mio progetto di quarantena monastica. Se possiamo in qualche modo difenderci dal virus, difenderci dal “discorso sul virus” è pressoché impossibile. 

 

Yves Citton - Ho avuto la tua stessa breve speranza, ma mi sono ritrovato ben presto con ancora più (tele)lavoro del solito, ho dovuto organizzare lezioni online, svolgere compiti amministrativi, portare avanti il mio lavoro di cura verso gli studenti e le istituzioni. E ho partecipato anche a interviste come questa che stiamo facendo tu e io adesso…

Mi è piaciuto molto quanto hanno detto Jacques Rancière e Andrea Inzerillo in questa nostra stessa serie di incontri. Mi sono del tutto riconosciuto negli “intellettuali abituati a pensare la fine della storia o quella dell’antropocene” che recitano perfettamente il loro piccolo ruolo abituale nella divisione del lavoro evocando in modo incantatorio “un rovesciamento del tempo multisecolare del Capitale o dell’antropocene”. Adoro Rancière e ha ragione a farci riflettere su cosa vorrebbe dire, nella nostra situazione odierna, l’appello politico a “sospendere l’ordine normale delle opere e dei giorni e inventare altri usi del tempo”. 

Ti confesso che non ho risposte a questa domanda. Forse questa cosa dovrebbe invitarci a tacere… Eppure non ho voglia di smettere questo dialogo. Mi sembra prezioso scambiarci sensazioni e idee da una parte all’altra delle Alpi. Mi piace farlo e lo faccio perché mi piace farlo. Lo faccio sottraendo tempo ai miei compiti amministrativi che occupano (in senso militare) la maggior parte delle nostre giornate di accademici. Quindi dialogando con te possiamo dire che “sospendo l’ordine delle opere e dei giorni”. Potrei però includere tranquillamente questo nostro dialogo nella “relazione” che devo fornire regolarmente ai valutatori incaricati di misurare la mia produttività accademica. Quanto stiamo facendo adesso si può iscrivere infatti senza difficoltà nella divisione del lavoro che distingue i produttivi dagli improduttivi, coloro che hanno il diritto di parlare (di essere pubblicati, di essere ascoltati) da coloro che hanno soprattutto il diritto di tacere e di ascoltare gli altri pianificare la ripresa o profetizzare la fine del Capitalocene.
In questa situazione ci sono tre punti che mi sembrano interessanti. 

Da una parte, la maggior parte delle alternative binarie sono pura illusione perché viviamo in realtà mescolate, impure, ambivalenti. La tua analisi sulle propagazioni verticali e orizzontali mostra come oggi tutti contribuiscano (in misura disuguale) ai discorsi sul virus. Per quanto ci riguarda: sì, profetizzando la fine del Capitalocene noi stiamo recitando il nostro piccolo ruolo di intellettuali istrionici. Ma nello stesso tempo possiamo anche contribuire, su piccola scala, alla sospensione di una certa temporalità, ovvero quella dell’urgenza di rilanciare il business as usual. Quindi, punto primo: è illuminante confrontarsi su questioni binarie, ma è importante non lasciarsene imprigionare, così da cogliere le dinamiche che annodano in modo complesso quanto le modalità binarie separano in modo troppo astratto.

Il secondo punto è che, all’interno del nostro dialogo, è un po’ troppo facile per qualcuno come me giocare sui due tavoli: spronare alla sospensione del produttivismo capitalocenico, e aggiungere così una nuova pubblicazione alla mia produttività accademica. Non bisogna fidarsi delle posizioni che sono troppo facili da prendere. La crisi sanitaria e economica che stiamo vivendo getta e getterà milioni di persone in uno stato di grande difficoltà. Alcuni combatteranno contro l’ordine dominante che li opprime e li sfrutta, altri faranno ciò che risulta più facile per loro, dal momento che occupano posizioni dominanti. Credo che la sospensione di cui parla Rancière implichi sempre una certa resistenza a quanto renda troppo facili i regimi di dominio. Quindi, secondo punto: il grado di difficoltà delle posizioni che prenderemo nelle crisi che verranno è senza dubbio un indicatore del loro valore reale. 

Il terzo punto controbilancia certi aspetti troppo sacrificali del punto precedente. Insistevo prima sul fatto che voglio continuare questo dialogo con te perché mi piace farlo. Gli operai-poeti che Rancière ha studiato in La Nuit de prolétaires si confrontavano con l’ordine dominante, ma praticavano anche la poesia perché amavano quanto la poesia faceva loro fare. Quindi, terzo punto: anche se molti tra noi si sentiranno scombussolati dalle crisi in corso e da quelle a venire, potrebbe essere una buona idea fondare i nostri valori e le nostre scelte su ciò che facciamo perché ci piace farlo. 

Vorrei quindi giustificare la nostra discussione in questa serie di dialoghi dedicati a “viralità/immunità” sulla base di questi tre principi. Il primo principio ci spinge a guardare più da vicino ciò che la viralità ha di promettente e che l’immunità ha di minaccioso, sapendo che sono mescolate una con l’altra in modo estremamente ingarbugliato. Il secondo principio spinge a identificare i punti intorno a cui viralità e immunità entrano in conflitto e suscitano resistenze, punti su cui si giocheranno le nostre socialità del futuro. Il terzo principio spinge a cercare nei piaceri che stiamo già provando nelle nostre socialità attuali il fondamento di ciò che dovremo difendere nei conflitti a venire.

 

Isabella Mattazzi - Sono assolutamente d’accordo con questa tua esortazione a non limitarci a categorizzazioni binarie della realtà. Anche dentro di me l’epoca del virus risuona come un tempo impuro, un tempo dell’ambivalenza e della mediazione. Parlo di impurità e di ambivalenza non soltanto da un punto di vista teorico, ma dalla prospettiva di un fare pratico a cui tutti noi siamo chiamati. “E adesso cosa facciamo?” è la domanda che io e i miei colleghi ci stiamo ponendo da mesi. “Come agiamo nel concreto, nel qui e ora del nostro ruolo sociale e delle sue ricadute sul mondo?” L’Università ha reagito al virus con la didattica a distanza, ovvero con un ripensamento totale del portato educativo dell’istituzione accademica. La didattica a distanza, se da una parte ha consentito di portare avanti l’anno accademico più o meno senza interruzioni, dall’altra è stata percepita come manchevole e classista nella sua divisione del mondo tra i sommersi che non hanno nemmeno un computer a famiglia e i salvati dei quartieri borghesi a fibre ottiche. Da più parti si sta chiedendo di riaprire, di tornare a “come eravamo prima”, rimodulando gli spazi, trovando nuove aule, costruendo, allargando, riadattando strutture, stanze, muri. Ma il corpo da elefante di un’Università pubblica strutturata su gare d’appalto e concorsi nazionali può muoversi con l’agilità di un topolino? Come può una burocrazia delle infrastrutture ragionare in Italia in termini di settimane o mesi quando ci trasciniamo dietro da anni il fantasma di terremoti che hanno raso al suolo paesi interi mai più ricostruiti?

In contemporanea il mondo dell’editoria è fermo da settimane e chiede a gran voce di riaprire, di tornare a “come eravamo prima”. Ma anche in questo caso non esistono a mio avviso soluzioni che possano ignorare una complessità di fondo ben più strutturale dell’opposizione binaria riapro/non riapro. Inoltre, tornare come prima è davvero la soluzione migliore? Tornare a un mercato del libro saturo, ipervelocizzato in cui i libri stanno in libreria un paio di settimane e poi scompaiono nel nulla, in cui infiniti festival si susseguono uno dopo l’altro costringendo librai e editori a lunghe e dispendiose carovane di autopromozione, è davvero una soluzione auspicabile? Certamente il Covid-19 sta lasciando e lascerà a casa migliaia di lavoratori del mondo della cultura, ma si tratta di persone che prima del virus campavano con 500 euro al mese, spesso senza neppure un contratto. Persone che alimentavano un circo dopato, perennemente su di giri e nello stesso tempo sofferente di continue crisi per mancanza di ossigeno. Ancora una volta come possiamo andare in una direzione che non sia sempre e in qualche modo compromessa?

Io credo che il nostro agire nel tempo che verrà per forza di cose dovrà essere un agire mediato, non polarizzato, disposto ad accettare contraddizioni e ripensamenti (e la tua proposta dei tre principi di azione direi che gioca molto bene anche in questo senso). I cambi di paradigma, del resto, avvengono nella Storia sempre per fasi contradittorie, per inattesi sprofondamenti e improvvise riemersioni sulla superficie del reale di modalità e pratiche che si credevano fino ad allora granitiche e universalmente condivisibili. 

Il virus oggi ci sta costringendo a forme di azione ibride, e proprio in ragione del suo ibridismo e della sua strutturale ambivalenza non possiamo che interpretarlo come l’avvento di una nuova contemporaneità. 

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Isabella Mattazzi insegna Letteratura francese presso l’Università di Ferrara. È curatrice e traduttrice editoriale dal francese e collabora come critico letterario per Il Manifesto e per diverse riviste di settore.

 

Yves Citton è professore di Letteratura e Media presso l’Università di Paris 8. Fino al 2021 è direttore esecutivo dell’EUR ArTeC (Arts, Technologies, numérique, médiations humaines et Création). Co-dirige la rivista Multitudes e ha pubblicato di recente Générations Collapsonautes. Naviguer en temps d’effondrements (con Jacopo Rasmi, Seuil, 2020), Contre-courants politiques (Fayard, 2018), Médiarchie (Seuil, 2017), Pour une écologie de l’attention (Seuil, 2014), Zazirocratie (Éd. Amsterdam, 2011). I suoi saggi in open source sono su www.yvescitton.net.