Andrea Inzerillo – La question que nous aimerions vous poser une fois de plus est la suivante : en quel temps vivons-nous ? Ces temps extraordinaires semblent accentuer encore davantage les temporalités différentes qui caractérisent nos vies. Des gens qui continuent à travailler en sortant quotidiennement de chez eux, des privilégiés qui nous invitent à profiter du temps que nous avons retrouvé, des gens qui n’ont pas de foyer… Il ne fait aucun doute que la crise accentue les différences qui constituent déjà nos sociétés. Et en même temps, on pourrait se demander, comme le font les optimistes, si les bouleversements de la période que nous vivons ne sauraient, au contraire, constituer une opportunité : certains disent que nous découvrons une nouvelle solidarité (nationale ou internationale), que nous reconnaissons l’existence de héros à nos côtés, que nous sommes presque en présence d’une révolution humaine et que nous devons en profiter pour repenser les temps et tout changer. Qu’en pensez-vous ?
Jacques Rancière – Le problème est malheureusement que le confinement nous ôte le moyen de partager ces temporalités sinon par bribes – par exemple les brèves confidences des petits commerçants qui craignent moins la journée dans leur boutique que le transport du retour vers les lointaines banlieues où ils habitent. On applaudit à heure fixe les personnels soignants mais on n’a aucun moyen de partager leur quotidien. Le résultat est que le discours sur le temps est monopolisé par deux sortes de gens : d’une part, les gouvernants qui gèrent l’urgence selon les concepts et les méthodes bien rodés : crise à affronter, sécurité à assurer, dispersion des rassemblements, etc. ; d’autre part, les intellectuels habitués à penser la fin de l’histoire ou celle de l’anthropocène. Ceux- ci nous disent volontiers aujourd’hui que l’épidémie est l’occasion de tout repenser, de renverser la logique capitaliste, de mettre l’humain avant le Capital ou de rendre à la Terre ou à la Planète les droits usurpés par les humains. Ils nous disent que, à la fin de l’épidémie, il va falloir en tirer les leçons et tout changer. Ce qu’ils oublient de nous dire, c’est qui se chargera de « tout changer » et en quel temps cela se passera. Un temps politique se tisse par des pratiques communes qui construisent des emplois du temps et des agendas. Or c’est précisément ce qui manque dans les conditions du confinement. Il n’y a pas de moyen de construire des temporalités qui préparent cet « après » dont tout le monde parle. En conséquence, les analyses qui prétendent répondre à la situation présente et préparer l’avenir sont en fait des analyses qui étaient toutes constituées avant, depuis la théorie de l’état d’exception et la critique de la société de contrôle et du totalitarisme des Big Data jusqu’à la nécessité de repenser de fond en comble les rapports de l’humain et du non-humain. Ce que le confinement révèle plus clairement que jamais c’est cette distribution bien réglée des rôles entre des gouvernants qui ont réduit le temps de la politique à l’urgence et fait de cette urgence leur métier à la petite semaine, et des intellectuels qui placent toute situation dans le temps multiséculaire du Capital ou de l’anthropocène et ne connaissent qu’une seule manière efficace d’y intervenir, à savoir le « retournement » radical de ce temps. Ce face-à-face peut durer indéfiniment. Le cours des choses ne change jamais que par l’action de ceux et celles qui travaillent le temps : ceux et celles qui font vivre quotidiennement nos sociétés en donnant les réponses qu’il faut donner à tout moment ; ceux et celles aussi qui, de temps en temps, envahissent les places, les rues ou les ronds-points pour suspendre l’ordre normal des travaux et des jours et inventer d’autres usages du temps. Tout le reste est imposture.
Andrea Inzerillo – Vous avez beaucoup travaillé sur le lien entre les mots et les images. Je me demandais comment vous envisagiez le vocabulaire qui accompagne le moment historique que nous vivons, quel type de représentation nous propose le discours dominant. Les termes d’urgence et de crise (auxquels nous sommes périodiquement soumis, jusqu’à ce que nous les vivions comme des termes ordinaires) donnent une idée du temps dans lequel nous nous sentons de plus en plus appelés à la responsabilité collective, et parfois explicitement à l’obéissance, en utilisant de plus en plus de métaphores liées à la guerre et en invoquant même l’armée non pas pour combattre la propagation du virus, mais peut-être pour imaginer une certaine conduite ou pédagogie des masses. Une conduite ou une pédagogie qui risque d’influencer l’avenir plus que le présent.
Jacques Rancière – Pardonnez-moi de jouer à mon tour le rôle de celui qui avait analysé par avance la situation présente. Il me semble malgré tout que cette situation confirme deux choses que j’ai essayé de dire depuis longtemps. Tout d’abord elle confirme que, contrairement à ceux qui dénoncent rituellement le poids des images sur les esprits faibles, nous sommes d’abord gouvernés par des mots et par des mots qui font effet sur les esprits forts, notamment ceux de crise et de sécurité. J’avais essayé, dans La Mésentente, de définir, sous le nom de consensus, cette absorption de la politique dans la police qui nous fait voir un monde où il y a une seule réalité, une seule manière de la percevoir et de la nommer et finalement une seule réponse à lui apporter. Je réagissais à cette situation des années 1990 où se mettait en place la rhétorique qui nous montrait la crise comme le gouffre qui nous menaçait au moindre pas de côté avant de nous la présenter comme l’état endémique de nos sociétés qu’il fallait savoir gérer au jour le jour. La crise économique menaçante se voyait ainsi absorbée dans une crise plus radicale. Elle devenait une réalité pathologique permanente qui requérait l’identification toujours plus forte du pouvoir d’Etat à l’action de médecins seuls capables de connaître les remèdes à apporter et la manière de les administrer. Cette médicalisation du pouvoir intervenait, d’une manière significative, au moment où nos Etats réduisaient les dépenses publiques pour la santé et la recherche. Sous couleur de fin de « l’Etat-providence » on voyait en fait s’opérer une substitution : aux acquis sociaux et aux solidarités nées de la lutte sociale se substituait un rapport direct de chaque individu à un Etat prétendant assurer la sécurité de tous. Il y a donc des années que s’est mise en place cette rhétorique sécuritaire qui couvre toutes les situations – crise financière, terrorisme, problèmes climatiques ou épidémies- et qui donne à toutes la même solution globale : le renforcement d’un pouvoir d’Etat qui couvre sans interruption toute la chaîne de paroles, de décisions et d’actions qui va de l’interprétation savante des situations à l’intervention armée dans les rues. Il est donc bien vrai que toute la grille rhétorique employée aujourd’hui par nos Etats pour gérer la situation pandémique existait déjà et l’on peut dire que cette situation lui assure une efficacité maximum. Mais il est difficile d’en tirer des conclusions pour le futur et de voir dans la discipline aujourd’hui observée dans nos pays l’anticipation d’un contrôle à venir de nos corps et de nos comportements semblable à celui du traçage informatique exercé par le pouvoir chinois. On suit certes mieux les consignes officielles quand on sait le risque omniprésent et impossible à localiser. Mais c’est là un simple instinct de survie qui ne s’identifie pas à une adhésion à la rhétorique et à la pédagogie du pouvoir. Hobbes a dit l’essentiel là-dessus : le contrat entre les individus et le souverain se dénoue quand celui-ci ne leur assure plus la vie.
Andrea Inzerillo – La pandémie semble reproduire des séquences que nous avons déjà vues dans certains films (je pense à un film que j’ai vu récemment comme Contagion de Steven Soderbergh), mais l’utilisation de ces images ne nous permet pas de réfléchir correctement au présent, car elles ne font que le dupliquer. Depuis quelques semaines, nous assistons également à une prolifération sans précédent de produits culturels sur Internet, qui aurait pour but de nous aider à mieux comprendre ce qui se passe, mais qui semble montrer davantage une conception de la culture comme accompagnement et consolation, une manière de ne pas nous laisser percevoir un silence qui serait encore plus effrayant. Dans vos écrits, vous avez souvent montré comment une plus grande distance nous permet de regarder différemment la situation qui se présente à nous. Sans aucune prétention didactique, je me demandais à quelles lectures ou visions vous vous consacriez ces jours-ci, ce que vous aimeriez évoquer non pas pour expliquer, mais pour ouvrir le champ trop fermé dans lequel nous nous trouvons.
Jacques Rancière – Il est vrai que la situation présente fait écho à une notion qui a été centrale pour moi, la distance : non pas, bien sûr, la précaution qui fait qu’on se tient à distance des autres mais l’écart pris avec la position de l’intellectuel censé répondre à la requête de l’actualité. La condition pour dire des choses justes, c’est quand même de parler de ce qu’on a vu, de ce qu’on a étudié, de ce sur quoi l’on a réfléchi et de le faire avec le ton qui s’est nourri de ce travail même. C’est pourquoi j’ai toujours du mal à comprendre pourquoi tant de nos confrères sont si empressés de répondre à la demande journalistique de « décrypter » l’actualité au pied levé, de banaliser l’inattendu en l’enfermant dans une chaîne causale qui le rend rétrospectivement prévisible et de fournir les formules grâce auxquelles la gestion au jour le jour de l’information se voit élevée à la hauteur d’une vision de l’histoire du monde. Et je m’étonne aujourd’hui de voir tant d’entre eux nous expliquer le sens historique, voire ontologique, de la pandémie alors même que nous ne voyons rien de sa réalité et n’avons connaissance de ce qui se passe au-delà de notre environnement immédiat que par les écrans de nos ordinateurs. Je préfère m’en tenir à la réalité dans laquelle je vis qui est celle d’un temps suspendu. D’une certaine façon, je vis ce suspens en continuité avec la pratique qui m’a fait passer tant d’années, dans des bibliothèques ou des archives, à m’occuper d’histoires anciennes et oubliées, apparemment sans rapport avec l’actualité : les promenades dominicales d’ouvriers saint-simoniens des années 1830 ou les provocations de l’incroyable Joseph Jacotot, proclamant la possibilité pour chaque ignorant d’apprendre tout seul et sans maître. Ces histoires, je les ai projetées dans un présent qui ne les attendait pas, un présent occupé de savoir ce qui advenait du prolétariat dans l’époque postfordiste ou comment l’Ecole devait réduire les inégalités. Je les ai projetées tout en les gardant dans leur distance, dans leur étrangeté résistante aux notions et aux images par lesquelles les machines médiatique et académique nous composent des présents homologués. Appréhender les choses d’un peu loin, cela aide à se débarrasser de l’attitude du maître et du propriétaire qui veut s’emparer de toute chose et de tout sens. C’est dans cet esprit que je vis ce présent radicalement inattendu. Je n’ai pas de connaissances épidémiologiques, pas d’information directe sur ce qui se passe aujourd’hui dans les hôpitaux. Je me suis donc dispensé d’ajouter mon « analyse » à toutes celles qui nous expliquent les causes lointaines, le sens profond et les effets radicaux de la situation que nous vivons. J’ai simplement continué le travail que je menais au moment où l’épidémie m’a surpris. Depuis des années j’essaie de mieux comprendre ce que nous percevons sous le nom d’art et la manière dont art et vie se sont noués depuis deux siècles. Je venais de terminer un livre sur l’histoire du paysage. On m’a demandé récemment parler de deux arts qui étaient restés aux marges de ma recherche, l’architecture et la musique. Cela avait été l’occasion de me replonger dans divers chapitres de l’Esthétique de Hegel. Privé d’autres bibliothèques que la mienne, j’ai profité de mon immobilité forcée pour reprendre de biais l’ensemble du livre et repenser ce qu’il avait à nous dire sur la manière dont l’art conjugue proximité et distance. Autrement, comme on n’en finit jamais d’apprendre à parler juste, je relis les écrits de quelques poètes et poétesses – Mandelstam, Akhmatova, Tsvetaieva - qui ont trouvé le langage pour dire un autre désastre dont ils ont été les témoins et les victimes, un désastre causé lui par les seuls humains, par la seule soif de maîtrise et de savoir global sur les vies. C’est juste ce que je fais. Ce n’est une leçon pour personne.
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Jacques Rancière (Alger 1940), philosophe, travaille depuis de nombreuses années sur les relations qui lient étroitement l’esthétique et la politique. Son dernier livre, Le temps du paysage. Aux origines de la révolution esthétique a été publié en février par l’éditeur français La Fabrique. Il est l’auteur d’ouvrages fondamentaux de la pensée philosophique contemporaine, dont plusieurs ont été publiés en italien: Il disaccordo (tr. it. de Beatrice Magni, Meltemi, 2007), L’odio della democrazia (tr. it. par Antonella Moscati, Cronopio, 2007), Il maestro ignorante (tr. it. par Andrea Cavazzini, Mimesis, 2008), Il disagio dell’estetica (tr. it. par Paolo Godani, ETS, 2009), Lo spettatore emancipato (tr. it. par Diletta Mansella, DeriveApprodi, 2018).
Andrea Inzerillo (Palerme, 1982) a publié l’édition italienne de deux livres de Jacques Rancière (Ai bordi del politico, Cronopio, Napoli 2011 ; Scarti. Il cinema tra politica e letteratura, Pellegrini, Cosenza 2013) et traduit en italien, entre autres, des œuvres de Foucault, Bayard, Lipovetsky, Madame de Staël. Il enseigne l’histoire et la philosophie dans les lycées, est également rédacteur des magazines Gli Asini et Fata Morgana - Quadrimestrale di Cinema e Visioni et il est directeur artistique du Sicilia Queer filmfest.
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Andrea Inzerillo – Avremmo quasi voglia di chiederle ancora una volta: in che tempo viviamo? Questi tempi straordinari sembrano accentuare ancor di più le diverse temporalità che caratterizzano le nostre esistenze. Persone che continuano a lavorare uscendo da casa quotidianamente, privilegiati che invitano ad approfittare del tempo ritrovato, persone che non hanno una casa… Non c’è dubbio che la crisi aumenti le differenze che costituiscono già le nostre società. E nello stesso tempo ci si potrebbe chiedere, come fanno gli ottimisti, se i tempi stravolti del periodo che stiamo vivendo non possano al contrario costituire un’opportunità: alcuni dicono che stiamo scoprendo una nuova solidarietà (nazionale o internazionale), che riconosciamo l’esistenza di eroi accanto a noi, che ci troviamo quasi al cospetto di una rivoluzione umana e che bisogna approfittarne per ripensare i tempi e cambiare tutto. Lei che ne pensa?
Jacques Rancière – Il problema è che purtroppo il confinamento ci toglie la possibilità di condividere queste temporalità se non per frammenti – ad esempio le brevi confidenze dei piccoli negozianti, meno impauriti dal passare la giornata nel loro negozio che dal viaggio di ritorno verso le periferie lontane in cui abitano. Applaudiamo a un’ora fissa il personale di cura ma non abbiamo nessun modo di condividere la loro quotidianità. Il risultato è che il discorso sul tempo è monopolizzato da due tipologie di persone: da una parte i governanti che gestiscono l’emergenza attraverso concetti e metodi ben rodati: crisi da affrontare, sicurezza da garantire, dispersione degli assembramenti ecc.; dall’altra gli intellettuali abituati a pensare la fine della storia o quella dell’antropocene. Questi ultimi amano ripeterci che l’epidemia è l’occasione per ripensare tutto, per ribaltare la logica capitalistica e mettere l’umano davanti al Capitale, o per restituire alla Terra o al Pianeta i diritti usurpati dagli umani. Ci dicono che alla fine dell’epidemia dovremo trarne delle lezioni e cambiare tutto. Purtroppo dimenticano di dirci chi dovrà occuparsi di “cambiare tutto”, e con che tempi dovrebbe avvenire questo cambiamento. Un tempo politico si intesse attraverso pratiche comuni che costruiscono agende e modi di impiegare il tempo. Ed è precisamente questo che ci manca nella situazione del confinamento. Non c’è modo di costruire temporalità che preparino questo “dopo” di cui tutti parlano. La conseguenza è che le analisi che pretendono di rispondere alla situazione presente e di preparare l’avvenire sono di fatto analisi che erano già pronte prima, dalle teorie dello stato di eccezione, della critica alla società di controllo e del totalitarismo dei Big Data fino alla necessità di ripensare da cima a fondo i rapporti tra umano e non umano. Quel che il confinamento rivela in modo più chiaro che mai è questa distribuzione ben ordinata dei ruoli tra, da una parte, dei governanti che hanno ricondotto all’emergenza il tempo della politica e fatto di questa emergenza il loro mestiere senza piani prestabiliti, e, dall’altra, degli intellettuali che collocano qualsiasi situazione nel tempo plurisecolare del Capitale o dell’antropocene e conoscono un’unica modalità efficace di intervento, e cioè il “rovesciamento” radicale di questo tempo. Questo faccia a faccia può durare un tempo indefinito. Solo l’azione di chi lavora il tempo cambia il corso delle cose: l’azione delle persone che fanno vivere quotidianamente le nostre società dando le risposte che bisogna dare momento per momento; ma anche quella di coloro che, di tanto in tanto, invadono le piazze, le strade o gli incroci per sospendere l’ordine normale delle opere e dei giorni e inventare altri usi del tempo. Tutto il resto è impostura.
Andrea Inzerillo – Lei ha lavorato molto sul nesso che lega le parole e le immagini. Mi chiedevo come considerasse il vocabolario che accompagna il momento storico che stiamo vivendo, che tipo di rappresentazione ci offre il discorso dominante. I termini di emergenza e di crisi (ai quali siamo periodicamente sottomessi, fino a viverli come termini ordinari) raccontano un’idea di tempo nel quale si sente sempre più richiamare alla responsabilità collettiva, e talvolta esplicitamente all’obbedienza, impiegando sempre più metafore relative alla guerra e invocando persino l’esercito non certo per contrastare la diffusione del virus, ma forse per immaginare una certa condotta o pedagogia delle masse. Una condotta o pedagogia che rischia di influenzare il futuro più che il presente.
Jacques Rancière – Mi perdonerà se faccio valere a mia volta il ruolo di quello che aveva già analizzato la situazione presente. Mi pare che malgrado tutto questa situazione confermi due cose che provo a dire da molto tempo. La prima è che, contrariamente a quelli che denunciano ritualmente il peso delle immagini sugli spiriti deboli, siamo governati innanzitutto da parole, parole che hanno effetto sugli spiriti forti, come ad esempio quelle di crisi e di sicurezza. Ne Il disaccordo avevo provato a definire con il nome di consenso questo assorbimento della politica nella polizia che ci fa vedere un mondo in cui c’è una sola realtà, un solo modo di percepirla e di nominarla e di conseguenza una sola risposta da fornire. Reagivo alla situazione degli anni Novanta in cui si creava la retorica che mostrava la crisi come il baratro che ci avrebbe minacciato al minimo passo di scarto, prima di presentarcela come lo stato endemico delle nostre società in una crisi più radicale. Essa diventava una realtà patologica permanente che richiedeva una sempre più forte identificazione tra il potere di Stato e l’azione dei medici, gli unici capaci di conoscere i rimedi da adottare e il modo per amministrarli. Questa medicalizzazione del potere interveniva, significativamente, nel momento in cui i nostri stati riducevano la spesa pubblica destinata ai settori della sanità e della ricerca. Col pretesto della fine dello Stato assistenziale si assisteva a una sostituzione: alle conquiste sociali e alla solidarietà che nasceva dai movimenti di lotta veniva sostituito un rapporto diretto tra ciascun individuo e uno Stato che pretendeva di garantire la sicurezza di tutti. È da molti anni che si è messa in atto una retorica securitaria che copre tutte le situazioni – crisi finanziaria, terrorismo, problemi climatici o epidemie – e che offre a tutte la stessa soluzione globale: il rafforzamento di un potere di Stato che copre senza interruzioni tutta la catena di parole, decisioni e azioni che va dall’interpretazione scientifica delle situazioni all’intervento armato nelle strade. È vero dunque che tutta la griglia teorica impiegata oggi dai nostri stati per gestire la situazione pandemica esisteva già, e si può dire che questa situazione le assicuri un’efficacia massima. Ma è difficile trarne conclusioni per il futuro e vedere nella disciplina che stiamo osservando oggi nei nostri paesi l’anticipazione di un futuro controllo dei nostri corpi e dei nostri comportamenti simile a quello del tracciamento informatico esercitato dal potere cinese. Non c’è dubbio che gli ordini ufficiali si rispettano meglio quando si sa che il rischio è onnipresente e impossibile da localizzare. Ma questo è un semplice istinto di sopravvivenza e non un’adesione alla retorica e alla pedagogia del potere. Hobbes su questo ha detto l’essenziale: il contratto tra gli individui e il sovrano si scioglie quando quest’ultimo non assicura più la loro sopravvivenza.
Andrea Inzerillo – La pandemia sembra replicare sequenze che abbiamo già visto in certi film (penso a un film che mi è capitato di vedere di recente come Contagion di Steven Soderbergh), ma il ricorso a quelle immagini non ci permette di pensare adeguatamente il presente, limitandosi semmai a duplicarlo. Da qualche settimana assistiamo inoltre a una proliferazione inaudita di prodotti culturali su internet, che avrebbe l’intenzione di aiutarci a comprendere meglio quel che succede ma che sembra mostrare più che altro una concezione della cultura come accompagnamento e consolazione, un modo per non farci percepire un silenzio che farebbe ancora più paura. Nei suoi scritti lei ha spesso mostrato come una maggiore distanza permette di guardare diversamente la situazione che abbiamo davanti agli occhi. Senza alcuna pretesa didascalica, mi chiedevo a quali letture o visioni si dedicasse di questi tempi, che cosa avrebbe voglia di evocare non già per spiegare, ma per aprire il campo troppo chiuso nel quale ci troviamo.
Jacques Rancière – È vero che la situazione presente rievoca una nozione che per me è stata centrale, quella della distanza: non certo la precauzione che vuole che ci teniamo a distanza dagli altri ma lo scarto rispetto alla posizione dell’intellettuale che sarebbe tenuto a rispondere a ogni richiesta dell’attualità. La condizione per dire cose giuste è parlare di ciò che si è visto, di ciò che si è studiato, di ciò su cui si è riflettuto e di farlo con un tono che si è nutrito di questo lavoro. Per questo mi riesce sempre difficile capire perché tanti nostri colleghi hanno tanta fretta di rispondere alla domanda giornalistica di “decriptare” l’attualità così su due piedi, di banalizzare l’inatteso rinchiudendolo in una catena causale che lo rende retrospettivamente prevedibile e di fornire le formule grazie alle quali la gestione quotidiana dell’informazione si vede innalzata all’altezza di una visione della storia del mondo. E mi stupisce vedere oggi tanti di noi spiegare il senso storico, se non addirittura ontologico della pandemia, mentre non vediamo niente della sua realtà e non sappiamo nulla di quel che succede al di là del nostro ambiente immediato se non attraverso gli schermi dei nostri computer. Preferisco attenermi alla realtà nella quale vivo, che è quella di un tempo sospeso. In un certo senso vivo questa sospensione in continuità con la pratica che mi ha fatto passare tanti anni nelle biblioteche e negli archivi a occuparmi di storie antiche e dimenticate, apparentemente senza rapporti con l’attualità: le passeggiate domenicali di operai saint-simoniani negli anni Trenta dell’Ottocento o le provocazioni dell’incredibile Joseph Jacotot, che proclamava la possibilità che qualsiasi ignorante imparasse da solo e senza maestro. Ho proiettato queste storie in un presente che non le aspettava, un presente preoccupato di sapere cosa succedesse al proletariato nell’epoca postfordista o come la scuola dovesse ridurre le disuguaglianze. Le ho proiettate nel presente pur mantenendole nella loro distanza, nella loro estraneità che resisteva alle nozioni e alle immagini attraverso le quali la macchina mediatica e quella accademica creano per noi dei presenti omologati. Prendere le cose un po’ da lontano aiuta a sbarazzarsi dell’attitudine del maestro e del padrone che vuole impadronirsi di ogni cosa e di ogni senso. È con questo spirito che vivo questo presente radicalmente inatteso. Non ho alcuna conoscenza epidemiologica, né informazioni dirette su quel che succede oggi negli ospedali. Mi sono quindi dispensato dall’aggiungere la mia “analisi” a tutte quelle che ci spiegano le cause lontane, il senso profondo e gli effetti radicali della situazione che viviamo. Ho semplicemente continuato a portare avanti il lavoro che mi occupava nel momento in cui l’epidemia mi ha sorpreso. Da diversi anni provo a comprendere meglio quel che percepiamo con il nome di arte e il modo in cui arte e vita si sono intrecciate da due secoli a questa parte. Ho da poco pubblicato un libro sulla storia del paesaggio. Di recente mi è stato chiesto di parlare di due arti che erano rimaste ai margini della mia ricerca, l’architettura e la musica. È stata per me l’occasione di rituffarmi in diversi capitoli dell’Estetica di Hegel. Privato di qualsiasi altra biblioteca che non fosse la mia, ho approfittato dell’immobilità forzata per riprendere di traverso l’insieme del libro e ripensare cosa aveva da dirci sul modo in cui l’arte coniuga prossimità e distanza. In alternativa, visto che non si finisce mai di imparare a parlare con giustezza, rileggo gli scritti di alcuni poeti e poetesse – Mandelstam, Akhmatova, Tsvetaieva – che hanno trovato le parole per esprimere un altro disastro di cui sono stati testimoni e vittime, un disastro causato stavolta soltanto dagli esseri umani, per la sola sete di dominare le vite e di conoscerle da tutti i punti di vista. È solo quel che faccio, non è una lezione per nessuno.
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Jacques Rancière (Algeri 1940), filosofo, si occupa da molti anni dei rapporti che legano strettamente l’estetica alla politica. Il suo ultimo libro, Le temps du paysage. Aux origine de la révolution esthétique è uscito a febbraio per l’editore francese La Fabrique. È autore di opere fondamentali del pensiero filosofico contemporaneo, di cui sono disponibili tra le altre in italiano Il disaccordo (tr. it. di Beatrice Magni, Meltemi, 2007), L’odio della democrazia (tr. it. di Antonella Moscati, Cronopio, 2007), Il maestro ignorante (tr. it. di Andrea Cavazzini, Mimesis, 2008), Il disagio dell’estetica (tr. it. di Paolo Godani, ETS, 2009), Lo spettatore emancipato (tr. it. di Diletta Mansella, DeriveApprodi, 2018).
Andrea Inzerillo (Palermo 1982) ha curato l’edizione italiana di due libri di Jacques Rancière (Ai bordi del politico, Cronopio, Napoli 2011; Scarti. Il cinema tra politica e letteratura, Pellegrini, Cosenza 2013) e tradotto in italiano, tra gli altri, opere di Foucault, Bayard, Lipovetsky, Madame de Staël. Insegna storia e filosofia nei licei, è redattore delle riviste Gli Asini e Fata Morgana – Quadrimestrale di Cinema e Visioni ed è direttore artistico del Sicilia Queer filmfest.