Théâtre

Intérieur table (Sur le jour fugace)

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Intérieur table (sur le jour fugace)

Compagnie émile saar (Marseille)

27 octobre, 21h
Ecomuseo Mare Memoria Viva

Spectacle organisé en collaboration avec l’Institut français de Palerme dans le cadre du festival Prima Onda
Surtitrage: Sudtitles

« Toute ressemblance avec des personnes, des situations ou des événements ne saurait être pure coïncidence. »

Avec pour toile de fond le moment universel du repas de famille, Intérieur table (sur le jour fugace) s’inspire de scènes de films pour traiter, sans aucune chronologie, du repas lui-même et de tous ses hors-champs : ce que l’on ne voit pas, ce qui ne se dit pas, ce que l’on devine, tout ce qui structure l’individu et les temps d’une vie. L’histoire d’une table. Le temps d’une table. La pièce dit le peu, les silences entre de si proches inconnus et représente ce qui échappe. Une suite de rituels, dans un spectacle construit, comme un film, par le montage d’un ensemble des fragments du quotidien liés par la permanence des trois comédien.ne.s, traversé.e.s et habité.e.s par ces figures de la mémoire collective.
Dans une succession de situations évoquées par les signes du théâtre, le spectacle observe les êtres à travers les choses de la vie, dans leurs mots du quotidien, la pratique de leurs gestes : dans cette forme de non-dit, où pourtant tout se dit, tout parle et tout s’entend. Ou encore le spectacle invite comme Baudelaire dans Le Spleen de Paris à voir comme à travers une fenêtre, « Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie».

Se pencher sur le tableau des repas de familles répond au désir de la metteure en scène Marie Lelardoux de voir et décrypter le familier. Ce qui se dit et ne se dit pas dans ces cas-là. Pour composer la partition scénique d’Intérieur table, un choix de divers fragments de films a été opéré, représentant plusieurs types de repas, des plus anecdotiques aux plus exceptionnels : tels les repas mondains (inspirés par exemple d’À nos amours de Maurice Pialat), de deuil (L’enfance nue de ce même Maurice Pialat, Fanny & Alexandre d’Ingmar Bergman), de mariage (Mamma Roma de Pier Paolo Pasolini…), et aussi les repas de tous les jours (Jeanne Dielman, 23 rue du commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman). Tous ces épisodes choisis ne correspondent donc pas forcément à des événements, mais plutôt à ces moments où la parole n’est pas frontale, où tout se masque, s’évite, et où tout se dit en creux. Tels les ‹petits riens› révélés par l’écriture de Nathalie Sarraute, qui peuvent avoir ‹la violence des champs de bataille, sans en avoir la grandiloquence›.
Poursuivant les références cinématographiques contemporaines, on pourrait dire qu’Intérieur table se place bien loin du fameux Festen (de Thomas Vinterberg et que tout le monde a en tête quand on parle de repas de famile au cinéma). Non que le spectacle s’oppose à cette nécessaire libération par la parole, ici il s’agit simplement d’un autre propos : raviver la mémoire de nos vécus, de notre culture commune.

Note de Marie Lelardoux, metteure en scène dans la compagnie, avec, pour appuis, des textes de Bruno Tackels, Jacques Rancière, Rachel Rajalu, Arnaud Rykner

«Les spectacles sont des actes. Il s’agit d’en inventer, à chaque fois, le ‹lieu›, fait de ses propres règles du jeu. Ça ne raconte pas rien et pourtant cela ne raconte pas d’histoires. Comme à travers le microscope de fouilles archéologiques : ‹rien ne se construit et pourtant, c’est un monde qui revient au grand jour› : un monde, des relations, l’humanité des êtres et la complexité de leurs rapports. La question est moins dans le sujet que dans la tentative de recréer des êtres en cherchant ‹leur teneur de réel› ;  et de faire avancer le spectateur entre ‹ce qu’il découvre et ce qu’il sait déjà›. Dans cet espace d’indétermination entre scène et salle réside le pouvoir d’agir du spectateur, dans cet espace ‹vide› où tout reste à penser et à composer. Entre ce que je dis et ce que tu entends, un écart demeure. C’est cet écart entre nous, entre ce qui se donne à voir et ce qui est vu, que j’ai envie de toucher par les spectacles. Ces endroits de translation m’intéressent, les endroits intouchables. Cet insaisissable auquel les spectacles (composés du temps, des instants, du présent) apportent de la chair. Ce chemin qui sépare spectateurs et spectacle constitue un troisième élément qui, n’étant en possession de personne, est la condition d’action du spectateur et qui permet à ce dernier de ‹composer son propre poème avec les éléments du poème en face de lui›.
Dans les premiers spectacles de la compagnie (en premier lieu : la figure de Cassandre et les signes avant-coureurs de la guerre), une forme de résistance aux sujets de la vie sociale, puis (la parole, la maison, le corps, l’impossibilité de l’être, l’art d’être enfant…) ils se sont imposés, tout en en retirant la dose de réalisme et de communication pour atteindre la chair, le grain, l’essence. Pas de sujet triomphant donc, moins des messages que des témoignages : s’appliquer à représenter une suite de petits riens qui ‹à les observer de près, peuvent avoir toute la violence des champs de bataille, sans en avoir la grandiloquence›. Il s’agit de laisser l’écran des apparences (des mots, des gestes) et de découvrir ce qui grouille derrière et qu’on pourrait nommer ‹la vraie vie› ; ‹l’accidentel (y) est retenu pour ce qu’il est, farouche démenti, résistance à l’ordre envahissant de la raison qui bride et arraisonne les vies›.